Les coûts thérapeutiques ne sont généralement pas un thème abordé en congrès scientifique. La raison en est simple: le corps médical s’occupe d’un diagnostic correct et d’un traitement approprié. Le prix fait quant à lui l’objet de négociations entre les autorités de santé publique et l’industrie, de manière le plus souvent ultra confidentielle. Les grandes difficultés, partout en Europe, liées à la prise en charge des coûts des nouveaux traitements contre l’hépatite C ont permis de sensibiliser les médecins et les autorités de régulation des différents pays. Andrew Hill, du Chelsea Westminster Hospital à Londres, a fait sur le sujet une passionnante conférence à l’ouverture du congrès.

Le titre «Traitements du cancer, du VIH et de l’hépatite virale en Europe via les génériques: que peut-on faire?» est clair: Andrew Hill voit grand. Il ne demande pas moins qu’un objectif 90-90-90 pour le traitement global de l’hépatite virale, du VIH et de la tuberculose, ce qu’il justifie par l’énorme baisse des coûts de production. Son engagement s’explique par le refus du NHS 1, en Angleterre, de prendre en charge des coûts de 4800£ pour une PrEP, et resp. de 30’000 à 100’000£ pour la guérison d’une hépatite C.

On pensait encore impossible en 1999, pour des raisons de coût, la mise en œuvre d’un traitement anti-VIH en Afrique. Mais un an plus tard, Yussef Hamied, du laboratoire de génériques indien Cipla, s’exprimait sans détour lors d’un sommet du G8: «Mon entreprise de médicaments génériques peut produire des médicaments antirétroviraux pour un dollar par jour». Le monde s’étonnait, alors que la Thaïlande avait fait la même chose trois ans auparavant. Mais seul le géant indien des médicaments génériques rendait le produit intéressant pour l’Afrique, en fournissant aussi les marchés d’exportation.

Andrew Hill a montré l’ampleur de la baisse des coûts de production des médicaments générée par les économies d’échelle 2. Un traitement antituberculeux générique à destination des pays à faible revenu ne coûte plus aujourd’hui que 90$ pour 6 mois.

Les prix fortement réduits des matières premières pour les médicaments contre l’hépatite C abaissent les coûts de production d’un traitement de 12 semaines nettement en dessous de 100$ pour le sofosbuvir et le daclatasvir, et aux alentours de 100$ pour l’association sofosbuvir/lédipasvir. Le prix de la substance active du sofosbuvir est tombé, entre janvier 2015 et août 2016, de 9000$ le kg à 1100$. Il en découle un prix «ex factory» théorique de 62$ pour 12 semaines de sofosbuvir générique. En Allemagne, le prix de 12 semaines de sofosbuvir est actuellement de 50’426€ 3, et en Suisse, de 46’914 francs 4.

Un rapide commentaire s’impose ici. Les réductions massives des coûts de production sont dues pour une large part à ce que l’on nomme les programmes «d’accès» pour les pays défavorisés et à l’attribution volontaire de licences pour des marchés spécifiques. Un exemple parmi beaucoup d’autres: en Egypte, fortement touchée par l‘hépatite C, le gouvernement paye 900$ par traitement. Des programmes similaires sont à l’origine du large accès aux traitements anti-VIH en Afrique. Ces programmes sont durables, car les pays qualifiés de riches étaient prêts à continuer à acquitter des prix élevés.

Attardons-nous encore un peu sur l‘hépatite C. Certains «pays riches» se sont en l’occurrence courageusement battu et ont bien négocié. En Espagne, 12 semaines de sofosbuvir coûtent 13’000€, en Australie 3500€ seulement. Ce ne sont pas là pourtant des pays pauvres bénéficiant de programmes «d’accès» – comment est-ce possible? Rien de plus banal en fait: l’industrie pharmaceutique veut vendre ses médicaments. Ceux qui s’engagent sur certaines quantités se voient accorder les meilleurs prix. L’Australie a imaginé une stratégie anti-hépatite et s’est fixé comme objectif d’éradiquer l’hépatite C d’ici 2026. Le gouvernement a apporté son soutien sans réserve au programme. Plus de 120’000 patients devraient être guéris dans les cinq ans à venir, 40’000 en 2016 selon les prévisions. Cela représente un budget de traitement annuel de 200 millions d’AU$. Alors qu’une véritable vision est nécessaire, on doit s’accommoder, en Suisse, de multiples limitations. On peut, on doit en tirer les leçons.

On retrouve pour l’entécavir une situation similaire à celle de l’hépatite C. Le brevet protégeant ce médicament utilisé pour le traitement de l’hépatite B arrive à expiration en 2017. Le prix officiel de l’entécavir se monte aux USA à 15’111$ par année et par patient. On est en France et en Angleterre aux environs de 7000$, et ce pour des coûts de production estimés de 36$ – du point de vue purement théorique, un prix de 90$ par année et par patient devrait être possible.

Et pour le VIH?
Beaucoup des médicaments les plus prescrits actuellement vont perdre la protection que leur confère leur brevet dans les quelques années à venir. Il serait donc théoriquement possible de réaliser des économies de coût. Il existe déjà des génériques pour l’éfavirenz et la lamivudine, abacavir/lamivudine et lopinavir/ritonavir suivent fin 2016. D’autres substances encore suivront en 2017 et 2018. Si ce n’est qu’en Suisse, aucun patient quasiment ne prend plus d’éfavirenz, et ce pour de bonnes raisons, de même concernant l’association lopinavir/ritonavir. Tant que sortiront de meilleures substances, et surtout des substances mieux tolérées, les éventuels avantages de coût des génériques sont voués à rester purement théoriques.

A quel degré la transparence est-elle envisageable?
L’intervention d’Andrew Hill a été instructive et a alimenté toutes les discussions à Glasgow. Les choses ne sont toutefois pas aussi simples qu’il les a présentées. Nous évoluons dans un environnement extrêmement réglementé, qui ignore le concept même de transparence vis-à-vis de l’extérieur. Ce sont ces milieux ultra réglementés qui décident du prix des médicaments, et non les coûts de production. Les fabricants de génériques sont eux aussi des commerçants. Ils n’investissent pas en recherche, ne prennent quasiment aucun risque, mais maximisent toutefois les prix.

L’industrie pharmaceutique impliquée dans la recherche soigne et défend avec beaucoup d’énergie son image de novatrice. Elle est dans de nombreux pays, en Suisse notamment, un contribuable important et un employeur recherché. On fait en général l’impasse sur sa production à petite échelle, le peu de concurrence réelle à laquelle elle est soumise et la faible compétitivité qui est en réalité la sienne. Au lieu des grandes chaînes de production de l’industrie automobile, l’industrie pharmaceutique travaille sur le mode de la confection, un peu comme une confiserie de qualité dans un grand centre urbain. Dans les petits pays, les patients veulent eux aussi être approvisionnés en produits autorisés là-bas. Les problèmes de disponibilité ne sont pas tolérés. Le système requiert, à tous les niveaux, énormément de personnel.

Et maintenant?
Les systèmes de santé, même ceux des pays riches, ont une pression énorme en termes de coûts. S’ils veulent fonctionner à long terme, ces systèmes doivent impérativement se consolider. De bons médicaments coûteux ne servent à personne si leur prix est prohibitif et que les patients ne peuvent se les procurer. Maintenir le bon fonctionnement de systèmes aussi complexes demande énormément de travail et d’effort, encore plus de bonne volonté et avant tout, une plus grande transparente de part et d’autre. Le corps médical et les patients comprennent bien que tout n’est pas finançable. Ils aimeraient toutefois être pris au sérieux et respectés, en tant qu’acteurs capables de réfléchir par eux-mêmes. Le modèle australien pour l’hépatite C doit, en Suisse également, avoir vocation d’exemple.

David Haerry / Novembre 2016

 

1 National Health Service, le système de santé publique anglais
2 Economies d’échelle: Lien entre quantité produite et volume de facteurs de production utilisés. Les économies d’échelle rendent possible la production de masse.
3 Il s’agit du prix le plus élevé pour le sofosbuvir en dehors des USA. Il devrait être plus bas dans la pratique, car les caisses-maladie publiques en Allemagne se négocient des rabais et remises de prix. Ceux-ci ne sont pas publics.
4 Compendium.ch, vérifié le 28 novembre 2016