Oui, la conférence a eu lieu. Mais SIDA 2018 restera dans les mémoires sous la mention « non détectable » et « PrEP ». L’étude PARTNER 2 a fourni les données que nous souhaitions depuis longtemps: la PrEP se répand en Europe; la criminalisation du VIH était un thème social important de la conférence. Sur scène, il y avait beaucoup de célébrités et dans le Village Global, il y avait une atmosphère principalement ordonnée autour de « Undetectable = Untransmittable », U=U. Nous nous limiterons ici à quelques résultats marquants.
La Déclaration suisse sur la non-infectiosité des personnes vivant avec le VIH sous thérapie a dix ans. Et finalement, on peut dire qu’on ne peut plus s’en débarrasser. Il y a quatre ans, l’étude PARTNER 1 avait déjà démontré de manière convaincante que les personnes ayant une charge virale contrôlée ne transmettent pas le VIH pendant les rapports sexuels. Il y avait une réserve à l’époque: les données sur les hommes gais et surtout sur les relations anales n’étaient pas aussi solides que celles sur les relations vaginales. Par conséquent, l’étude PARTNER 2 a recruté exclusivement des couples homosexuels sérodiscordants provenant de 14 pays européens. Ils ont eu environ 77’000 fois des rapports sexuels non protégés entre eux. Il n’y a pas eu une seule transmission du VIH au sein d’un partenariat si le partenaire séropositif avait une charge virale inférieure à 200 copies. Ainsi, la situation des données sur les rapports sexuels non protégés homosexuels et anaux est tout aussi bonne que sur les rapports vaginaux.
D’un point de vue suisse, la question se pose de savoir pourquoi l’étude PARTNER 2 est importante. Lorsque la Déclaration suisse a été publiée il y a dix ans, elle a fait l’objet de critiques. Cette critique était importante à deux égards:
- La Déclaration suisse n’était vraiment pertinente que dans les pays les plus riches, car c’est là que la charge virale pouvait être contrôlée de manière irréprochable et régulière.
- Pour les couples homosexuels, la déclaration était ébranlée [CB1]– il n’y avait tout simplement pas de données. Les auteurs se sont ensuite excusés et ont déclaré qu’il n’était pas possible d’affirmer qu’il n’y avait « aucun risque ». Au mieux, on pourrait parler d’un risque réduit de transmission.
Et puis, il y avait l’incertitude au sujet d’un risque accru de transmission en cas de maladies sexuellement transmissibles simultanées. En outre, beaucoup craignaient que cette déclaration ne compromette tous les efforts de propagation du safer sex.
Grâce aux deux études PARTNER, ces incertitudes peuvent maintenant être mises de côté. U=U s’applique aux gays et hétérosexuels, aux relations anales et vaginales, et les maladies sexuellement transmissible n’augmentent pas le risque.
U=U se transmet
La campagne est en train de s’implanter – ce qui était clairement perceptible dans le Village Global d’Amsterdam. Les militants du VIH sont motivés et portent le message dans le monde. En Turquie, elle devient B=B, Belirlenemeyen = Bulaştırmayan; en Hollande N=N, Niet meetbaar = Niet overdraagbaar; en Amérique latine I=I, Indetectable = Intransmisible; en Russie H=H, НЕОПРЕДЕЛЯЕМЫЙ = НЕ ПЕРЕДАЮЩИЙ ПЕРЕДАЮЩИЙ; au Vietnam K=K, Không phát hiện = Không lây truyền.
Pour les pays les plus pauvres, la campagne est une impulsion importante pour mieux et plus régulièrement surveiller la charge virale des patients. Cela serait particulièrement important en Afrique, où les dernières incertitudes concernant l’allaitement maternel des bébés persistent. Bien que nous puissions également dire aux mères qui allaitent que le risque de transmission pendant l’allaitement est réduit s’il n’y a pas de charge virale détectable, ce n’est pas suffisant. La décision « d’allaiter ou de ne pas allaiter » plonge toujours les mères séropositives dans un dilemme et un conflit de conscience.
Dr Alex Schneider1 dirige l’organisation internationale Life4me+, qui a lancé la campagne U=U en Europe de l’Est et en Asie centrale. Pour lui, la campagne est un outil important pour des campagnes publiques. Elle contribue à attirer l’attention du public sur le VIH, à réduire la stigmatisation, à motiver les gens à commencer la thérapie tôt, à lutter contre l’auto-stigmatisation et à améliorer l’adhésion au traitement. A ce jour, 60 organisations de 14 pays de la région ont cosigné la campagne, dont 11 organisations gouvernementales.
Nombreuses activités et données sur la prophylaxie pré-exposition PrEP
C’est maintenant clair: la PrEP sur demande fonctionne aussi bien qu’une PrEP permanente! La moitié des utilisateurs de PrEP en France utilisent la PrEP en fonction de leurs besoins et ne l’utilisent donc pas comme traitement à long terme. L’étude « Prévenir », lancée il y a un an, collecte des données sur la distribution sécurisée de la PrEP en région parisienne. Les chercheurs espèrent que 3’000 hommes gais supplémentaires dans le cadre de la PrEP auront une influence sur le nombre de nouvelles infections. Après un an, plus de 1’600 hommes ont été recrutés dans l’étude. Les participants peuvent choisir s’ils veulent utiliser la PrEP si nécessaire ou quotidiennement. La PrEP au besoin signifie que les hommes prennent une double dose de Truvada au moins 2 à 24 heures avant les rapports sexuels prévus, et si des rapports sexuels non protégés ont été pratiqués, une pilule 24 heures et une pilule 48 heures après. Jusqu’à présent, aucun des participants n’a été infecté. On croit que l’utilisation de la PrEP a permis d’éviter environ 85 infections.
L’étude pionnière IPERGAY voulait déjà prouver que les deux stratégies sont équivalentes. Ceci a échoué pour deux raisons: premièrement, IPERGAY a été interrompu prématurément parce que l’utilisation de la PrEP a eu trop de succès et deuxièmement, les participants à IPERGAY étaient si sexuellement actifs que la plupart d’entre eux ont suivi une thérapie à long terme.
La criminalisation du VIH
U=U inspire aussi les militants des droits humains. La criminalisation scientifiquement injustifiable de la transmission du VIH a fait l’objet d’une grande attention lors de la conférence. Le débat a été dominé par le principe directeur « Combattre le virus, pas les gens ». La « Global Commission on HIV and the Law » a publié un supplément au rapport « Risks, Rights & Health » de 2012.
L’addendum présenté à Amsterdam souligne la validité des recommandations initiales et en ajoute certaines qui tiennent compte des progrès techniques et scientifiques ainsi que des évolutions législatives et géopolitiques. Quelques phrases-clés:
- Dans les pays où la transmission du VIH est encore punie, les juges devraient exiger des preuves de l’intention criminelle de transmettre le VIH.
- Les gouvernements doivent interdire la poursuite des femmes vivant avec le VIH en vertu de lois spécifiques au VIH, de lois sur la drogue, la maltraitance des enfants et la négligence dans les décisions qu’elles prennent pendant ou après la grossesse. Cela s’applique également aux allaitement des enfants.
- Chaque fois que le VIH joue un rôle dans une procédure pénale, la police, les avocats et les jurés doivent être informés des avantages de la thérapie anti-VIH selon les meilleures preuves scientifiques disponibles.
Le réseau HIV Justice Worldwide a organisé un symposium intitulé « Beyond Blame: Challenging HIV Criminalisation ». Les contributions individuelles au symposium sont disponibles sur le canal YouTube du réseau.
Lors de la conférence, vingt éminents chercheurs sur le VIH ont publié un consensus d’experts scientifiques sur le VIH dans le contexte criminel2. La co-auteure suisse est Alexandra Calmy de Genève. La Déclaration recommande la prudence dans la poursuite de personnes pour transmission, exposition et propagation du VIH. Elle encourage également les gouvernements, les responsables de l’application de la loi et le personnel du système judiciaire à prendre note des progrès de la science et à s’assurer que les connaissances actuelles éclairent l’application d’une loi.
Les experts précisent l’objectif de la publication: un soutien devrait être apporté aux experts dans le cadre des procédures pénales. Il ne s’agit pas d’un document destiné aux autorités de santé publique pour fournir des informations sur la prévention, le traitement et les soins du VIH. Cette clarification est importante. La plus grande erreur commise par la justice pénale et les autorités judiciaires est l’estimation du risque de transmission associé à certains actes; l’application d’estimations agrégées du risque au comportement des individus dans certaines situations.
La délégation suisse à la conférence était nombreuse et très présente. Des scientifiques, des sympathisants et des militants de la lutte contre le sida y étaient représentés. L’ancienne conseillère fédérale Ruth Dreifuss y a également été vue. Son engagement en faveur des personnes défavorisées, des minorités et pour la dépénalisation de la consommation de drogue se poursuit sans relâche.
David Haerry / Septembre 2018
1 Dr Alex Schneider vit en Suisse et est membre du Conseil Positif
2 Barré‐Sinoussi F et al. Expert consensus statement on the science of HIV in the context of criminal law. J Int AIDS Soc, 25 July 2018, https://doi.org/10.1002/jia2.25161