Le point aveugle de la prévention du VIH chez les personnes FLINT
La PrEP - une préparation codée au masculin ?
14 décembre 2022
Depuis janvier 2016, la Commission fédérale pour la santé sexuelle (CFSS) recommande la prophylaxie pré-exposition, ou PrEP, comme protection pour les personnes séronégatives présentant un risque élevé de contracter le VIH. Les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) sont particulièrement visés par cette recommandation. Les personnes FLINT à haut risque de VIH se trouvent en revanche en marge de cette méthode de prévention relativement nouvelle. La marginalité féminine dans le discours sur le VIH se reproduit donc également dans le progrès médical autour du VIH/sida et ses campagnes d’information en matière de politique de santé.
La PrEP est la plus grande avancée dans la lutte contre le VIH depuis l’introduction de la trithérapie en 1996. Actuellement, la PrEP se présente le plus souvent sous la forme d’une pilule, elle protège l’organisme d’une éventuelle exposition au VIH lors de rapports sexuels avec pénétration sans préservatif et empêche une infection.
L’utilisation croissante de la PrEP dans les communautés HSH a une influence directe sur le nombre de cas. Ainsi, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) écrit dans son bulletin 48/2021 sur la situation en 2020 : « Pour la première fois depuis le début de l’épidémie de VIH au début des années 1980, moins de 300 cas ont été déclarés à l’OFSP […] Une base essentielle de ce recul est une « cascade VIH » durable, dans laquelle presque toutes les personnes séropositives connaissent leur statut et sont traitées rapidement et efficacement, de sorte qu’elles ne transmettent plus le virus ». On peut également lire que cela ne concerne majoritairement que les hommes. En 2020, 44,6% des infections chez les HSH en Suisse étaient considérées comme récentes, le moment de l’infection datant donc de moins d’un an. En revanche, chez les femmes ayant reçu un nouveau diagnostic, aucun cas n’a été enregistré où une femme avait été infectée il y a seulement quelques mois. Toutes vivaient avec le VIH depuis plus longtemps sans le savoir.
En 2020, la majorité des cas de VIH déclarés en Suisse concernait toujours des hommes, avec une proportion de 79%. Ainsi, l’OFSP écrit : « L’incidence était nettement plus faible en 2020 que l’année précédente et s’élevait à 1,3 (année précédente : 2,0) pour 100 000 habitants chez les femmes et à 5,2 (année précédente : 7,6) chez les hommes ». La PrEP aurait contribué à cette diminution : « Fin 2020, au moins 3000 personnes, principalement des hommes gays, se sont protégées contre le VIH au moyen de la PrEP ». (1)
La PrEP, un nouvel écart entre les sexes ?
Cependant, à l’échelle mondiale, la moitié des personnes vivant avec le VIH sont des femmes. En Europe, c’est plus d’un tiers. (2) Si la PrEP continue à être utilisée avec autant de succès en Europe uniquement chez les HSH, la proportion de femmes rejoindra bientôt le niveau mondial. Ce pronostic montre de manière drastique à quel point les femmes et les autres sexes, au-delà de la norme cis-masculine, sont exposés à la pandémie de VIH persistante et que les institutions de politique de santé ne font pas preuve de suffisamment de détermination face à cette inégalité de traitement. Cela se manifeste d’une part dans le diagnostic, c’est-à-dire dans le fait qu’aucune des femmes diagnostiquées en 2020 en Suisse ne présentait une infection « récente ». Mais cela se voit aussi dans la manière dont la PrEP est actuellement développée et promue. En Suisse, seul le Truvada (TDF/FTC) et ses génériques sont actuellement autorisés sous forme de PrEP orale. La variante orale n’est pas particulièrement adaptée aux personnes ayant un vagin. Pour obtenir une protection fiable, elles doivent prendre un comprimé tous les jours et sur une longue période. L’oubli unique d’un comprimé réduit déjà l’efficacité. En revanche, chez les hommes cisgenres, deux à trois comprimés par semaine suffisent à réduire le taux d’infection de 84% (3). Les hommes trans gays et bisexuels qui ont des rapports sexuels vaginaux avec d’autres hommes sont ainsi doublement menacés. Chez eux, s’ajoute également l’incidence élevée chez les HSH.
Nous retrouvons la même thématique dans le travail du sexe. Les collaborateurs des consultations gynécologiques d’un centre d’accueil pour travailleurs du sexe m’ont dit qu’ils n’informaient pas les travailleuses du sexe cis-féminines sur la PrEP. Ils expliquent cela par le fait que les centres d’accueil ne veulent pas créer d’incitations à renoncer à l’utilisation de préservatifs, qui protègent aussi en partie contre les infections sexuellement transmissibles (IST). Mais que se passe-t-il lorsqu’une travailleuse du sexe, sous la pression économique, propose des rapports anaux sans préservatif et court ainsi un risque anatomique comme un homme qui a des rapports sexuels avec des hommes ? Les travailleuses du sexe qui, pour diverses raisons, subissent des pressions pour renoncer à l’utilisation de préservatifs, auraient tout de même la possibilité de se protéger du VIH avec la PrEP. Surtout une qui est entre leurs mains. Il semble naïf et paternaliste d’insister sur le fait que les travailleuses du sexe doivent utiliser un préservatif et de les priver de connaissances sur la PrEP pour cette raison. En outre, il ne faut pas oublier que les personnes auxquelles la PrEP a été prescrite par un médecin sont régulièrement testées pour toutes les IST. Cela permet de détecter de manière plus fiable les autres IST qui, contrairement au VIH, peuvent être non seulement traitées, mais aussi guéries.
Chaque femme, qu’elle soit travailleuse du sexe ou non, doit pouvoir évaluer pour elle-même si cette forme de prévention a un sens pour elle. Permettre cette autodétermination sexuelle relève de la responsabilité des institutions de politique de santé et de la recherche médicale.
Promouvoir la recherche spécifique sur la PrEP pour les femmes et accélérer sa mise en œuvre
Chez les personnes ayant un vagin, l’injection de cabotégravir à libération prolongée est plus efficace que le comprimé à prendre quotidiennement. Elle offre une protection très efficace contre le VIH, écrit l’Aide allemande contre le sida en novembre 2020. (4) Le cabotégravir est un médicament à action prolongée, administré toutes les huit semaines par voie intramusculaire avec une action prolongée. L’étude HPTN 084 a été menée dans sept pays d’Afrique subsaharienne auprès de 3223 femmes cisgenres âgées de 18 à 45 ans. La moitié des participantes a reçu la PrEP orale, l’autre moitié l’injection à dépôt. Il s’est avéré, avant même la fin de l’étude, que le deuxième groupe avait une protection contre le VIH 89% plus efficace que les participantes qui prenaient la PrEP par voie orale. L’étude a pu être terminée prématurément.
En Suisse, la seringue à dépôt de cabotégravir n’est autorisée que depuis octobre 2021 sous le nom de Vocabria, mais uniquement pour le traitement post-infectieux du VIH. Il faudra du temps pour qu’elle obtienne une autorisation en tant que PrEP. Aux États-Unis, en revanche, elle est autorisée en tant que PrEP depuis 2021 et a été jugée sûre et efficace pour tous les sexes. (5)
Pour les personnes ayant un vagin, l’anneau vaginal de dapivirine constitue une autre méthode de prévention. Le médicament antirétroviral est libéré lentement dans les tissus vaginaux pendant un mois afin de prévenir l’infection par le VIH dans la région du vagin. On peut également lire sur le site web de PrEPWatch : « Cela signifie que le médicament ne sera probablement pas retrouvé à des concentrations élevées dans la circulation sanguine et dans d’autres tissus du corps, ce qui peut réduire les effets secondaires ainsi que le risque de développer une résistance au VIH ». (6) L’anneau est une alternative appropriée, discrète et à longue durée d’action pour réduire le risque d’infection par le VIH lors de rapports sexuels vaginaux. Mais cela signifie également que l’anneau n’offre aucune protection lors des rapports anaux.
L’anneau est déjà autorisé dans certains pays africains. Il est également réjouissant de constater que des études actuelles examinent les anneaux vaginaux avec des préparations combinées qui devraient alors également prévenir d’éventuelles grossesses ou IST. Cela signifie qu’à l’avenir, les personnes ayant un vagin auront également plus d’options pour leur propre protection. La question est de savoir combien de temps nous devrons attendre pour cela.
Angela Lagler / Décembre 2022
Ce texte a été initialement publié dans le magazine FemInfo (n° 61 Médecine et binarité des genres). FemInfo est édité par l’association Feministische Wissenschaft Schweiz.
(1) Office fédéral de la santé publique (OFSP): Infections sexuellement transmissibles et hépatites B/C en Suisse en 2020 : survol épidémiologique. Bulletin 48/2021.
(2) Deutsche AIDS-Gesellschaft (DAIG): Frauen und HIV – gezielte Forschung ist notwendig. https://daignet.de/site-content/die-daig/sektionen/aawsall-around-women-special, aktual. 07.06.2022.
(3) Deutsche Aidshilfe: PrEP für Frauen, HIV-Report (01/2018).
(4) Deutsche Aidshilfe: PrEP für Frauen: Cabotegravir-Depotspritze bietet hochwirksamen Schutz vor HIV.https://www.aidshilfe.de/meldung/prep-frauen-cabotegravir, publ. 09.11.2020.
(5) PrEP-Watch: PrEP Basics. https://www.prepwatch.org/about-prep/basics/ (10.06.2022).
(6) PrEP-Watch:Dapivirine-Ring. https://www.prepwatch.org/about-prep/dapivirine-ring/ (10.06.2022).
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