Interview du Prof. Alexandra Calmy du département d’Infectiologie des Hôpitaux universitaires de Genève

Beaucoup de patients séropositifs présentent d’un taux de cholestérol élevé qui impacte le foie. Il s’agit pour partie d’un effet secondaire du traitement anti-VIH, pour partie d’une conséquence du VIH lui-même; ou pour d’autres sujets, il est simplement lié au vieillissement ou à un mode de vie malsain. Il entraîne un risque plus important de maladies cardiovasculaires.

Nos médecins essaient par conséquent de réduire autant que possible le taux de cholestérol. Cela ne réussit pas toujours. L’évolocumab fait partie d’une nouvelle classe d’hypolipémiant. La substance réduit les taux élevés de cholestérol dans une mesure non atteinte jusqu’ici. Les autorités de contrôle des médicaments européenne, américaine et suisse ont déjà autorisé la substance, mais en Suisse, la prise en charge des coûts n’est pas encore réglée. Les centres de cohorte de Genève, Lugano et Zurich vont tester l’efficacité de l’évolocumab pour certains profils de patients. Le recrutement de l’étude débute en avril.

Q: Mme le Prof. Calmy, qu’est-ce qui vous a incité à participer à cette étude?

R: Mon intérêt pour améliorer la prise en charge de l’hypercholestérolémie chez les patients VIH remonte à plusieurs années déjà. Les patients vivant avec VIH ont un risque augmenté (par rapport à une population non infectée) d’être affectés par des évènements cardiovasculaires ; en conséquence, il est important que la prévention cardiovasculaire soit optimisée ; cette prévention passe bien sur par l’arrêt du tabac, par la perte de poids, par le contrôle de l’hypertension, mais aussi par le contrôle des taux de cholestérol dans le sang.

Dans ce contexte, notre équipe a mis en place un essai clinique dès 2013, en collaboration avec la clinique de Melbourne, dont l’objectif est de déterminer le bénéfice des statines avant que les recommandations officielles ne le recommandent, soit lorsque le risque cardiovasculaire est considéré comme modéré.

Récemment, les recherches sur les inhibiteurs de la PCSK9 (un acronyme barbare signifiant paraproteine convertase subtilisin/kexine de type 9), ont retenu toute notre attention. C’est donc naturellement que nous avons contacté la firme pharmaceutique AMGEN, afin d’attirer leur attention sur la nécessité d’étudier l’effet de cette nouvelle molécule, avec un mécanisme d’action unique et innovant, chez les personnes porteuses du VIH.

Q: En quoi le mode d’action de l’évolocumab se différencie-t-il des hypolipémiants conventionnels?

R: L’évolocumab, de même que les statines, a pour objectif d’abaisser le taux sanguin du LDL-cholestérol. C’est donc un « hypolipémiant ». L’évolocumab est un anticorps monoclonal humain qui inhibe de manière très spécifique le PCSK9, tandis que les statines sont des petites molécules qui agissent plutôt en bloquant la synthèse du cholestérol. L’effet principal de l’inhibition de la PCSK9 se traduit par la diminution de la dégradation du récepteur au LDL-cholestérol ; ainsi, toute augmentation de la présence de ces récepteurs à la surface des cellules hépatiques se traduit par une diminution du LDL-cholestérol en circulation. L’évolocumab a une cible d’action plus spécifique que les agents pharmacologiques traditionnels, et ce qui devrait donc limiter le risque d’effets indésirables. De plus ses propriétés pharmacocinétique sont très différentes de celles des statines, et le risque d’interactions médicamenteuses avec des antirétroviraux semble inexistant à l’heure actuelle. Enfin, l’évolocumab est administré par voie sous-cutanée avec une périodicité bimensuelle, ce qui améliore probablement l’adhésion à ce traitement.

Q: Combien de patients souhaitez-vous recruter et combien de temps dure l’étude? Quels types de patients recherchez-vous (critères d’inclusion)?

R: L’étude une dizaine de patients repartis sur 4 sites en Suisse, à Genève, Lausanne, Zurich et Lugano. Elle devrait durer 52 semaines ; les 24 premières semaines seront une comparaison avec un placebo, et les suivantes seront une phase ouverte, ou tous les patients de l’étude recevront la molécule active.

Nous allons recruter personnes séropositives pour le VIH, en prévention primaire ou secondaire. Pour être éligibles les participants doivent être sous traitement de statine, ou être intolérants à ces traitements, et avoir des niveaux de LDL-cholestérol au dessus des cibles communément admises (2.6 mmol/L chez les patients qui n’ont pas de maladies cardiovasculaires, et 1.8 mmol/L lorsqu’ils ont déjà une maladie coronarienne par exemple).

Q: Quels avantages en espérez-vous pour les patients?

A: Cette nouvelle étude permettra de tester un médicament avec un mécanisme d’action unique, spécifique et innovant. Souvent, les études excluent dans leurs critères des personnes infectées par le VIH ; nous sommes donc satisfaits que ce médicament soit rapidement évalué aussi dans cette population de personnes vulnérables aux affections cardiovasculaires.

Très récemment, une large étude testant l’évolocumab chez plus de 27’000 patients a démontré que cette molécule non seulement baissait le LDL-cholestérol, mais qu’elle permettait de réduire les maladies cardiovasculaires, et les décès.

Il est donc d’autant plus important que cette molécule soit rendue disponible et testées dans nos cliniques.

Q: Dans beaucoup d’études, les femmes ne sont pas ou peu représentées. Qu’en est-il ici?

R: Vous avez parfaitement raison de soulever cette problématique. Actuellement en Suisse, environ 25% des personnes affectées par le VIH/Sida sont des femmes. Cette proportion est beaucoup plus importante dans d’autres pays du monde. Il est donc crucial que les femmes soient représentées dans les essais cliniques.

L’hypercholestérolémie chez les femmes jeunes atteint toutefois rarement des taux nécessitant une intervention thérapeutique, et à ce titre, nous risquons bien d’inclure plus de patients masculins dans notre étude en Suisse.

Q: Avez-vu une idée des effets secondaires de l’évolocumab?

R: Dans toutes les études faites à ce jour, l’évolocumab présente un excellent profil de sécurité. Dans une des premières études publiées sur ce médicament, la survenue globale des effets indésirables était semblable dans le bras évolocumab et dans le bras placebo. Les effets indésirables le plus fréquemment associés avec l’évolocumab seraient des nasopharyngites, des infections des voies respiratoires hautes, la grippe, des nausées et des lombalgies ; toutes pathologies peu spécifiques et difficilement attribuables à la molécule active.

 

Merci infiniment à Mme le Prof. Calmy et à son Assistante de recherche, Mme Yoana Dimitrova

 

David Haerry / Mars 2017