Des données sensationnelles dans le domaine de la prévention ont fait les gros titres cette année lors du congrès de l’IAS à Rome. L’efficacité de la thérapie comme instrument de prévention a été prouvée très clairement. Les bons résultats obtenus avec les microbicides, la PrEP, les stratégies de « test and treat » et les progrès en matière de vaccins sont très encourageants. Il semble que l’épidémie ralentisse dans certains groupes de population et même qu’elle puisse être arrêtée dans d’autres. Reste à savoir comment s’y prendre en pratique.

Le 18 juillet, les résultats de l’essai HPTN-052 ont été présentés et salués devant toute la salle plénière. Ce grand essai a apporté une preuve irréfutable de l’efficacité de la thérapie dans la prévention. 

Depuis 2005, le HPTN-052 a contrôlé au total 1763 couples hétérosexuels sérodiscordants au Malawi, au Zimbabwe, au Botswana, au Kenya, en Afrique du Sud, au Brésil, en Thaïlande, aux États-Unis et en Inde. Les critères d’inclusion étaient les suivants : le partenaire infecté (homme ou femme) n’est pas encore indiqué pour une thérapie en raison de taux de CD4 élevés ; le partenaire régulier est séronégatif. Les patients ont été répartis en deux groupes : l’un a été traité immédiatement par thérapie antirétrovirale en cas de taux de CD4 compris entre 350 et 550/ml, l’autre a attendu que la thérapie soit indiquée selon les directives nationales (taux inférieur à 250 CD4/ml). Le critère d’évaluation primaire de l’essai était l’infection du partenaire régulier avec le virus du partenaire infecté. 

Un essai de longue durée pour des résultats sans équivoque
Sur une période d’observation de 2 ans en moyenne, 39 partenaires de l’essai ont été infectés. Chez 28 nouveaux infectés, on a pu prouver que l’infection venait du partenaire régulier ; chez 11 autres, cette possibilité a été exclue. Sur 28 infections au sein du couple, 27 se sont produites dans le groupe non soumis à thérapie. L’infection dans le groupe des patients sous thérapie est un cas intéressant. Cette infection nouvelle a toutefois été détectée dès le premier contrôle à 90 jours. L’analyse des tests porte à croire que l’infection n’était pas tout à fait récente. Sur la base de l’évolution des virus VIH, les auteurs ont calculé que la date probable d’infection remontait à -85 jours, soit précisément au début de la thérapie VIH. Cela signifie que personne n’a été contaminé pendant la thérapie établie. Ainsi, la thérapie VIH réduit à elle seule de 96% le risque de transmission au sein du couple. Ces données ont été annoncées début mai, lorsque l’essai a été arrêté prématurément en raison des données univoques. Ceci confirme clairement les hypothèses sur lesquelles se basait la déclaration 2008 de la CFPS.

Un timide espoir pour les pays du Sud
Les résultats du HPTN-052 vont bouleverser le débat sur les programmes de thérapie et leur début, en particulier dans les pays du Sud, qui sont aussi les plus touchés. Quelques voix se sont élevées pour mettre en garde contre un optimisme excessif : « les scientifiques et les militants auront encore besoin de beaucoup de force de persuasion pour convaincre les autorités et les pays donateurs de l’importance de ces données et de la nécessité urgente d’adapter les programmes de traitement dans les pays les plus gravement touchés par le VIH », déclare le Dr Eli Katabira, président de l’International AIDS Society. « Ne sous-estimez pas la puissance d’un argument scientifiquement fondé, au lieu de gesticuler », réplique Anthony Fauci du National Institute of Health, aux États-Unis.

Une autre séance s’est penchée sur les étapes à suivre pour mettre en œuvre le traitement comme programme de prévention. La principale difficulté sera de dépister toutes les personnes infectées par le VIH. Dans la plupart des pays, la majorité des personnes vivant avec le VIH/SIDA ne sait pas qu’elle est infectée. Des programmes de test les plus ciblés possible sont également nécessaires, avec début du traitement immédiat et suivi à long terme.

De nombreux participants du congrès ont soutenu qu’il n’était éthiquement pas défendable de surseoir au traitement pour les personnes infectées par le VIH vivant en couple sérodiscordant. Mais cette question ne fait pas non plus consensus : dans certaines régions du monde, la majorité des personnes infectées par le VIH, qu’elles soient diagnostiquées ou non, ne vivent pas en couple sérodiscordant. Doit-on leur refuser la thérapie pour favoriser les autres ?

Les droits de l’homme offrent aussi matière à discussion. Les patients doivent pouvoir être associés à la décision de thérapie et nul ne doit être forcé à se soigner pour des raisons de politique sanitaire. L’OMS en particulier doit désormais être mise à contribution pour rédiger des directives sur le rôle de la thérapie dans la prévention. 

Que signifient ces données pour l’Europe, pour la Suisse ?
Certains pays devront s’adapter aux directives sur la thérapie. Ceci doit se faire avec précaution, car tous les bénéfices d’une thérapie précoce pour les personnes infectées par le VIH ne sont pas encore clairement établis. L’essai START en cours en Suisse contribuera à apporter plus de lumière en ce domaine. En Suisse, la thérapie précoce dès le diagnostic est d’ores et déjà possible, et cette possibilité est déjà utilisée, sur recommandation du médecin ou sur demande du patient qui souhaite protéger son partenaire. Les changements devraient donc être mineurs en Suisse, si ce n’est que la tendance existante se renforcera.

La Suisse doit réfléchir d’une part à la stratégie de prévention, d’autre part aux recommandations de tests pour les hommes homosexuels au comportement à risque. La stratégie de prévention actuelle repose sur le principe que « chacun se protège soi-même ». Ceci n’est plus tout à fait pertinent, il est manifeste que nous pouvons faire quelque chose et proposer une aide utile à l’ensemble de la société. Les recommandations de tests doivent de toute urgence être adaptées au comportement à risque spécifique des hommes homosexuels et des MSM. Ceux qui ont beaucoup de relations sexuelles doivent se faire tester plus souvent, une fois par an ne suffit pas.

Prophylaxie pré-exposition (PrEP)
Dans ce domaine aussi, Rome a révélé de nouvelles données positives, issues de deux essais impliquant des couples hétérosexuels. Les données avaient été annoncées avant le congrès et les essais arrêtés prématurément en raison des résultats positifs. L’essai Partners a comparé le Ténofovir et le Ténofovir/FTC (Truvada) avec un placebo chez des couples sérodiscordants au Kenya et en Ouganda ; l’essai TDF2 a comparé le Truvada à un placebo chez des couples hétérosexuels au Botswana. L’essai Partners a démontré un effet protecteur de 62% pour le Ténofovir et de 73% pour le Truvada. Dans l’essai TDF2, l’effet protecteur du Truvada s’est élevé à 63% au total, mais à 78% chez les couples qui avaient pris des médicaments moins d’un mois auparavant. Cette circonstance met à nouveau en évidence le problème de la fidélité au traitement dans le cas de la PrEP.

Que signifient les données de Rome pour la prévention ?
Avant toute chose, que ce ne sera pas simple. Nous savons désormais que le démarrage précoce de la thérapie, l’utilisation de la PrEP et les microbicides vaginaux ont une influence sur les taux de transmission du VIH. Mais il ne suffit pas de prouver l’efficacité d’une intervention donnée.

Il faut comprendre pourquoi certaines interventions fonctionnent dans certains groupes à risque et d’autres non (certains résultats sont contradictoires ou ambigus). Il faut comprendre les caractéristiques spécifiques des réseaux sexuels, des comportements sexuels et l’épidémiologie locale, car ces paramètres influent sur l’efficacité des interventions. Et il faut en particulier comparer l’efficacité d’une intervention isolée avec l’utilisation combinée d’un ensemble de mesures préventives.

Il n’y aura probablement pas d’intervention individuelle « la meilleure » ou « la plus efficace », mais plutôt un ensemble d’interventions spécifiquement adapté à un groupe à risque. Nous avons donc besoin d’essais locaux supplémentaires portant sur ces composants et leur implémentation. Enfin, il nous faut aussi tout simplement savoir « à quoi ça sert et combien ça coûte ». 

100 à 150 infections évitées chez les MSM en Suisse, c’est une économie de plus de 2 à 3 millions de francs, et ces chiffres se cumulent d’année en année. Au vu des chiffres suisses et des données de Rome, cet objectif semble réaliste. La réalisation de l’objectif dépend du développement d’essais adaptés, d’une meilleure surveillance, d’une amélioration de la collaboration interdisciplinaire entre les autorités, le corps médical, les chercheurs, les auxiliaires SIDA et les intéressés, et enfin de l’élaboration de modèles épidémiologiques les plus réalistes possible. 

Il faut à présent beaucoup réfléchir, bien planifier et coordonner au mieux les acteurs, sans brûler les étapes. Il faut aussi ramasser en premier les fruits les plus éloignés, c’est-à-dire identifier en Suisse les 35% de patients atteints du VIH qui se présentent aujourd’hui tardivement dans les hôpitaux sans avoir été diagnostiqués, et aussi identifier les sujets primoinfectés au VIH, les conseiller et les soigner. 

Texte : David H.-U. Haerry

L’auteur remercie le Pr Pietro Vernazza de l’hôpital cantonal de Saint-Gall pour la relecture du manuscrit.