Tout comme à la conférence de l’IAS il y a trois mois à Paris, la prophylaxie pré-exposition (PrEP) a été le sujet majeur du congrès de Milan. Comme attendu, la Société Européenne a présenté aux 3000 participants les recommandations de traitement actualisées, de même que l’actualité, généralement positive, concernant la co-infection à l’hépatite C.

PrEP

Au sujet de la PrEP et de la prévention, il y avait une multitude de présentations, discussions et posters très intéressants. À Londres, les néo-infections par le VIH chez les hommes gays affichent, depuis la disponibilité de la PrEP, un recul spectaculaire. À la clinique du 56 Dean Street, il a été constaté une baisse de 90% des infections par le VIH. Ce succès n’est pas dû au hasard; il démontre que les prestations doivent être clairement axées sur les personnes présentant un risque d’infection élevé et faire l’objet, pour partie, d’une mise en œuvre radicale. Les données londoniennes sont la première preuve qu’un nouveau modèle, basé sur un grand nombre de clients et un réseau de proximité proposant traitement anti-VIH et PrEP comme prophylaxie, peut efficacement lutter contre l’épidémie dans les grands centres urbains.

La clinique de la Dean Street ouvre ses portes en 2009, avec pour objectif de réduire le nombre d’infections par le VIH non diagnostiquées. Emma Devitt du Chelsea and Westminster Hospital a expliqué l’histoire de la clinique lors d’une table ronde sur le dépistage VIH et la PrEP1. Entre autres prestations fournies par la Dean Street, le diagnostic et le traitement du VIH et de l’hépatite, des conseils en matière de santé sexuelle et des offres spéciales à destination des groupes à haut risque, tels que les travailleurs du sexe. La clinique a développé un suivi de la PrEP et une offre spécifique pour les personnes pratiquant le Chemsex. Face à la forte demande dont bénéficient les prestations de la clinique, une deuxième offre est proposée depuis 2016, dans la même rue, via le Dean Street Express. Cette déclinaison est largement automatisée et améliore le dépistage des maladies sexuellement transmissibles asymptomatiques. Les clients déterminent seuls, à l’aide d’écrans tactiles, les éventuels tests de détection utiles. Ils se rendent ensuite dans une cabine, où ils préparent eux-mêmes les prélèvements requis.

L’offre du Dean Street Express a été largement plébiscitée et acceptée. Chaque mois, quelque 12’500 clients, dont 60% d’hommes gays, fréquentent les cliniques de la Dean Street. Soixante à soixante-dix néo-infections par le VIH étaient détectées mensuellement il y a deux ans, contre seulement dix en septembre 2017. Ce recul drastique des nouveaux diagnostics s’observe également dans d’autres sites londoniens. Ce succès n’est pas le fait d’une mesure isolée, mais d’une offre globale élaborée pour répondre aux besoins – le traitement immédiat des patients nouvellement diagnostiqués, une nette amélioration de la détection des maladies sexuellement transmissibles et enfin, des dépistages plus fréquents du VIH, de même que la disponibilité de la PrEP et son suivi.

Ce qui est possible à Londres devrait l’être dans d’autres villes. Le temps dira si le système est transposable en Suisse. En Angleterre et ailleurs en Europe, les tests de dépistage des maladies sexuellement transmissibles sont gratuits, tout comme la PrEP. Ce sera difficilement possible en Suisse, mais nous devons nous en inspirer.

Le Centre européen de prévention et contrôle des maladies (ECDC) a présenté une étude réalisée à travers le logiciel de rencontre gay Hornet en juillet et août 20172. Les résultats montrent que le nombre d’utilisateurs de la PrEP en Europe est stable et n’a pas encore augmenté. La France et la Russie comptabilisent à elles seules la moitié des réponses, une prédominance liée à la popularité du logiciel sur leur territoire. 85% des utilisateurs de la PrEP ont dit souhaiter continuer à prendre une PrEP à l’avenir. Il est particulièrement intéressant de relever que les utilisateurs de la PrEP sont plus satisfaits de leur vie sexuelle que les non-utilisateurs (76% des utilisateurs de la PrEP se disent satisfaits et 10% insatisfaits, contre 54% de satisfaits et 28% d’insatisfaits chez les non-utilisateurs). Il se peut que les utilisateurs de la PrEP soient plus détendus durant le rapport sexuel. Il serait toutefois judicieux, pour une prochaine enquête, d’inclure d’autres applications telles que Grindr et Scruff.

L’étude PARTNER est l’une des études de prévention du VIH les plus importantes jamais réalisées. Elle suit les couples sérodiscordants ayant des rapports sexuels non protégés et vise à déterminer l’existence d’une transmission du VIH entre les partenaires quand le partenaire séropositif a une charge virale réprimée. Notre dernière communication sur l’étude date de 2016 (en allemand: https://positivrat.ch/cms/medizin/therapie/169-58-000-mal-ungeschuetzter-sex-in-sero-diskordanter-partnerschaft-und-kein-hiv-uebertragen-1.html). L’étude PARTNER 2 révèle un faible recours à la PrEP et à la PEP et un taux élevé de transmission par les partenaires occasionnels3. On ne peut que s’interroger sur le fait que seuls 5% des hommes séronégatifs de l’étude prennent une PrEP, alors que plus d’un tiers ont des rapports anaux non protégés avec des partenaires occasionnels. L’étude PARTNER livre la preuve du succès d’un traitement administré préventivement et de la campagne U=U (Undetectable = Untransmittable). Le message envoyé par les données présentées à Milan est clair: les personnes séronégatives ayant des rapports anaux non protégés en dehors de leur couple encourent un risque particulièrement élevé. Pourtant, rares sont ceux qui prennent une PrEP – parce qu’ils se sentent protégés au sein de leur couple?

L’étude suisse de cohorte VIH au EACS

Cela nous amène à un projet intéressant de l’étude suisse de cohorte VIH (SHCS), qui visait à déterminer l’année à laquelle les hommes gays avaient cessé d’utiliser les préservatifs de manière conséquente4. Le projet était particulièrement innovant, en ce qu’il se basait sur un algorithme conçu à l’origine pour l’astronomie. Luisa Salazar-Vizcaya a ainsi pu montrer que les hommes rapportant avoir eu des rapports anaux non protégés entre 2000 et 2016 se répartissaient en quatre groupes spécifiques de gays, chez lesquels avait été noté un changement de comportement. Ces groupes se différenciaient par le moment auquel les hommes avaient abandonné une utilisation conséquente du préservatif lors d’un rapport anal avec des partenaires occasionnels.

Jusqu’en 2000, 20% des participants à l’étude avaient eu au minimum une fois un rapport anal non protégé. Cette proportion atteignait les 60% en 2016. La hausse était entre autres particulièrement forte en 2008 – l’année du Swiss Statement, comme on s’en souvient. Louisa Salazar-Vizcaya émettait toutefois des réserves sur cette explication – un traitement agrégé des tendances conduit souvent à une trop grande simplification. Un examen plus attentif révèle que 50% des hommes n’ont pas changé de comportement – ils utilisent, comme auparavant, le préservatif de manière conséquente. Un quart de ce groupe rapporte «un accident occasionnel», à l’occasion duquel il n’a pas utilisé de préservatif. Dans le deuxième groupe, un petit quart des participants, 10% font état de rapports anaux non protégés en 2000, contre 90% en 2016. Ces hommes ont commencé à délaisser le préservatif à partir de l’année 2010. Deux autres groupes de moindre importance montrent un changement de comportement encore plus rapide. Dans le premier groupe, qui englobe 12% des participants, seuls 10 à 15% mentionnent des rapports anaux non protégés jusqu’à 2008. Leur nombre augmente lentement jusqu’à 2013 pour atteindre les 25%, avant de grimper à 100% en 2016. En l’espace de trois ans, de 2013 à 2016, la proportion des hommes n’utilisant pas de préservatifs est donc passée de 20% à 100%. Enfin, le dernier et plus petit groupe affiche un comportement plus extrême encore. Parmi eux, jusqu’en 2015, seuls 10% ont eu des rapports sexuels non protégés – il s’agissait donc des utilisateurs de préservatifs les plus fidèles. Une année plus tard, en 2016, le chiffre explosait à 95% – traduisant un abandon massif du préservatif.

Au plan démographique, les groupes ne se différenciaient ni en termes d’âge, ni en termes de niveau d’instruction ou d’origine ethnique. Pourquoi donc ce changement drastique de comportement parmi les hommes étudiés? Nous ne pouvons actuellement que spéculer. L’hypothèse est que les hommes du deuxième groupe ont tenté, à partir de 2001, de se protéger via le «sero-sorting»5. À compter de 2008, l’année du Swiss Statement, ce groupe a commencé à changer de comportement. Le groupe 3 a lui aussi changé lentement de comportement dès 2008, avant d’instaurer un changement radical à partir de 2013 – au moment de la publication des premiers résultats de l’étude PARTNER, alors largement diffusés par la presse gay. Quant au brusque changement de comportement du quatrième groupe, il est probablement lié aux études PROUD et IPERGAY sur la PrEP. Les partenaires séronégatifs de ces hommes sont-ils à cette époque passés à la PrEP? Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses et espérer une étude qualitative qui investigue la question plus en détail. Il est toutefois important de retenir que les changements de comportement ont des causes très diverses.

L’étude suisse de cohorte VIH a également contribué à faire évoluer la stratégie de dépistage et de traitement de l’hépatite C chez les hommes gays. L’étude HCVree avait pour but d’identifier, dans la mesure du possible, la totalité des hommes co-infectés à l’hépatite C au sein de la cohorte, en vue de les traiter immédiatement et donc de réduire la prévalence. L’objectif à long terme est bien entendu de faire baisser le nombre de néo-infections à l’hépatite C chez les hommes gays. Dominique Braun de l’hôpital universitaire de Zurich a pu rapporter que 99% des hommes de la cohorte souffrant d’hépatite C ont été guéris dans les 8 mois, permettant ainsi de faire baisser la prévalence de deux tiers6. Il a été diagnostiqué 177 infections par l’hépatite C au total, dont 147 déjà connues. Les contrôles renforcés ont donc permis l’identification de trente néo-infections.

68 avaient eu des rapports sexuels non protégés avec des partenaires occasionnels et 51 d’entre eux étaient prêts à prendre part à une session de changement comportemental durant la thérapie7. La première session s’est concentrée sur l’importance personnelle de la sexualité et des émotions associées, la deuxième séance était axée sur la réflexion des risques individuels, tandis que la troisième portait sur un plan de réduction des risques personnels et la quatrième était une réflexion sur les objectifs auto-imposés et la façon d’éviter la recontamination. Chez deux tiers des hommes, les rapports non protégés étaient le facteur de risque le plus probable d’une infection par l’hépatite C; 30% seulement échangeaient des seringues et 29% échangeaient des sextoys ou pratiquaient le fist. Parmi ces 51 hommes, 40 recouraient à la drogue lors de leurs rapports sexuels, méthamphétamine et GBL ou GHB principalement. 90 % de ces hommes ont été au bout de la session et n’ont à ce jour pas été réinfectés.

Nous en venons ainsi au sujet suivant – la réinfection par l’hépatite C après une première guérison. Les personnes guéries d’une infection par l’hépatite C ne sont pas prémunies d’une réinfection. Stefan Mauss, de l’étude allemande de cohorte sur l’hépatite C, a rapporté que depuis 2014, un homme sur sept avait à nouveau contracté une infection à l’hépatite C8. La réinfection était intervenue, chez la moitié des sujets au moins, durant la première année, chez les autres, dans un délai de dix-huit mois. L’infection a disparu spontanément chez une partie d’entre eux. On suppose que le risque de transmission est plus élevé quand les individus échangent des seringues. Mais cette théorie explique, selon Stefan Mauss, un quart tout au plus de l’ensemble des cas observés. Une autre étude londonienne sur les infections aigues par l’hépatite C indique que 27% des hommes concernés mentionnent, pour seul risque, les rapports anaux non protégés9. Là encore, 27% des hommes avaient échangé des seringues – ce qui coïncide avec les observations faites en Allemagne. Un quart des infections relevées à Londres concernaient des hommes encore séronégatifs. Là encore, un résultat surprenant.

Conclusion: la session de changement comportemental du projet HCVree de l’étude suisse de cohorte VIH a porté ses fruits.

Recherche: Nouveaux médicaments

Une présentation sur le développement des médicaments traitait d’un médicament d’une nouvelle classe, nommée inhibiteurs de l’attachement10. Ces produits sont intéressants pour les patients ayant développé une multirésistance. S’ils sont moins nombreux qu’il y a dix ans, la situation des personnes concernées reste dramatique. Beaucoup d’entre eux sont des patients de longue date et d’un certain âge, ayant débuté un traitement anti-VIH avant 1996. Une nouvelle molécule, le fostemsavir, a bénéficié à certains de ces patients – dans l’étude présentée, la charge virale a pu être réprimée chez plus de la moitié d’entre eux. Il faut cependant compter encore trois à quatre ans jusqu’à l’autorisation finale.

Recommandations de traitement européennes actualisées

Ce qui nous amène aux recommandations de traitement européennes actualisées. Les recommandations EACS sont largement observées au plan européen, dû par l’implication d’experts de toute l’Europe. En quelques mots, les nouveautés principales:

Les nouvelles recommandations de l’association européenne sont également disponibles en allemand et en français.11 Le site Internet de l’EACS présente une liste détaillée des principales évolutions.

Webcast et poster de la conférence sont disponibles en ligne sous: http://resourcelibrary.eacs.cyim.com

Et pour finir, une nouvelle positive pour la Suisse, avec pour la première fois, l’accueil du congrès prévu dans deux ans, en l’occurrence à Bâle, du 6 au 8 novembre 2019.

 

David Haerry / Novembre 2017

 

1Devitt E Dean Street Model of Testing. Round Table: Models of HIV Testing and Delivery of PrEP. 16e Congrès Européen sur le SIDA, 25-27 octobre, Milan, 2017

2Noori T et al. The use, and willingness to use, PrEP among men who have sex with men in Europe: Results from a 2017 Hornet/ECDC Survey.16e Congrès Européen sur le SIDA, 25-27 octobre, Milan, abstract 12/4, 2017

3Cambiano V et al. Use of PEP and PrEP among HIV Negative MSM in the PARTNER Study.16e Congrès Européen sur le SIDA, 25-27 octobre, Milan, abstract PS11/4, 2017

4Salazar-Vizcaya L et al. Highly Dissimilar Patterns of Sexual Risk Behaviour among HIV-positive Men who Have Sex with Men: Clustering Individual Trajectories in the Swiss HIV Cohort Study from 2000 to 2017. 16e Congrès Européen sur le SIDA, 25-27 octobre, Milan, abstract PS12/1, 2017

5Sero-sorting signifie que la supposition que le partenaire sexuel a le même statut VIH détermine le choix d’avoir ou non un rapport sexuel.

6Braun D et al. High SVR12 rates with grazoprevir/elbasvir +/- ribavirin for 12-16 weeks guided by genotypic resistance testing among HIV/HCV coinfected MSM in the Swiss HCVree trial.16e Congrès Européen sur le SIDA, 25-27 octobre, Milan, abstract PS9/4, 2017.

7Nicca D et al. Doing the impossible: an e-health-assisted counselling intervention to reduce risk in HCV-reinfection in men who have sex with men. 16e Congrès Européen sur le SIDA, 25-27 octobre, Milan, abstract PE25/24, 2017.

8Ingiliz P (S Mauss presenting). High incidence of HCV reinfection in HIV-positive MSM in the DAA era. 16e Congrès Européen sur le SIDA, 25-27 octobre, Milan, abstract PS9/1, 2017

9Chung E et al. Acute hepatitis C infections in men who have sex with men: changing patterns of risk. 16e Congrès Européen sur le SIDA, 25-27 octobre, Milan, abstract PE15/1, 2017

10Kozal M (Lataillade presenting). Phase 3 study of fostemsavir in heavily treatment-experienced HIV-1 infected participants: day 8 and week 24 primary efficacy and safety results (BRIGHTE study, formerly 205888/AI438-047).16e Congrès Européen sur le SIDA, 25-27 octobre, Milan, abstract PS8/5, 2017

11http://www.eacsociety.org/guidelines/eacs-guidelines/eacs-guidelines.html